Origine du Covid-19 : que peut vraiment découvrir l’équipe de l’OMS en Chine ?

« Remonter le temps en suivant les preuves. » C’est ainsi que l’épidémiologiste allemand Fabian Leendertz a résumé le travail qu’il devra accomplir avec ses collègues de l’OMS depuis Wuhan pour essayer de percer les mystères sur l’origine du SARS-CoV-2. Mais à quoi ressembleront ces preuves? L’équipe de chercheurs y aura-t-elle vraiment accès, alors que la Chine a fortement freiné toute tentative d’enquêter sur les débuts de la pandémie de Covid-19?

 

Si la communication de Pékin est verrouillée sur le sujet, un premier pas a néanmoins été franchi ce dimanche. Les experts de l’Organisation mondiale de la Santé, arrivés en Chine mi-janvier puis placés en quatorzaine dans un hôtel, se sont rendus sur un marché de gros avant de rejoindre le désormais célèbre marché aux fruits de mer Huanan, à Wuhan, premier foyer connu de l’épidémie.

Des visites « très importantes », a souligné sur Twitter Peter Daszak, zoologiste et membre de la mission. En juillet, deux experts de l’OMS avaient été autorisés à se rendre en Chine pour préparer l’investigation, sans pour autant accéder à Wuhan.

Sous escorte et à distance des journalistes

La venue de ces scientifiques internationaux est ultra-sensible politiquement pour Pékin, accusé d’avoir tardé à réagir face aux premiers cas de Covid signalés fin 2019. C’est donc sous bonne escorte et à distance de la presse que les chercheurs sont arrivés sur les deux marchés ce dimanche.

Ils n’ont répondu à aucune question des reporters, à qui les services de sécurité ont intimé de s’en aller. Seul un des experts a fait un signe d’approbation avec son pouce, quand un journaliste lui a demandé, de loin et en criant, s’ils étaient satisfaits de leur visite.

Le marché Huanan, où étaient notamment vendus des animaux sauvages vivants, a été nettoyé et est fermé depuis janvier 2020. « C’est comme mener une enquête policière un an après les faits, avec une scène de crime souillée et des témoins bâillonnés », juge Serge Morand, biologiste de l’évolution au CNRS, cité par la Croix.

La visite de ce lieu demeure néanmoins « cruciale pour permettre à nos équipes conjointes de comprendre l’épidémiologie du Covid, comment il a commencé à se propager à la fin de 2019 », estime de son côté Peter Daszak, qui a passé une heure sur place. « C’est très instructif pour nous de voir la disposition du marché et de parler avec le personnel », explique-t-il.

Des conversations pas censurées, selon un expert

Plutôt optimiste aujourd’hui, le scientifique avait au départ « de vrais doutes sur la portée » de l’enquête de l’OMS, compte tenu du contexte politique. Début janvier, la Chine avait pu faire montre de son appréhension à voir ces experts fouler son sol : leur venue avait été décalée de deux semaines en raison d’autorisations que Pékin n’avait pas transmises à temps, ne leur permettant pas d’obtenir de visas.

Mais lors de sa quatorzaine à Wuhan, le zoologiste a passé des jours intenses à discuter sur Zoom pendant des heures avec des experts chinois. Et ses préoccupations se sont atténuées. « Nous avons abordé toutes les questions souhaitées, nous avons rencontré les gens qu’il fallait », a-t-il déclaré au quotidien britannique Telegraph samedi.

Le jour même, l’équipe de l’OMS avait été conduite à l’hôpital Jinyintan de Wuhan, le premier à avoir accueilli des patients atteints de ce qui n’était alors qu’un mystérieux virus. « Première visite extrêmement importante », a écrit Daszak sur Twitter, indiquant que les experts avaient eu « une discussion ouverte » avec le personnel médical sur « les détails de leur travail ».

Les conversations avec les scientifiques et les médecins chinois n’ont pas été censurées ou « contrôlées », a-t-il ensuite affirmé au Telegraph. Et d’ajouter : « Nous restons complètement ouverts d’esprit sur toutes les hypothèses possibles. Mais je pense que, si on continue comme on l’a fait aujourd’hui, nous serons capables, à l’issue de cette mission, d’affiner les hypothèses qui ont le plus de poids. »

Quelle marge de manœuvre ?

Autre avancée : l’OMS a confirmé que la dizaine d’enquêteurs se rendrait bien à l’Institut de virologie de Wuhan, qui est équipé d’un laboratoire spécialisé dans l’étude des coronavirus. Cet établissement fait l’objet d’hypothèses, reprises notamment par l’ex-président américain Donald Trump, selon lesquelles le virus aurait pu s’en échapper avant de contaminer la planète. Une théorie qui ne s’appuie, pour l’instant, sur rien de tangible.

Mais quelle est la véritable marge de manœuvre pour la délégation dans cette mission ? L’étude de l’OMS s’appuiera aussi « sur les informations existantes et augmentera, plutôt que de dupliquer, les efforts en cours ou existants », a expliqué l’institution.

Que valent ces « informations existantes »? Selon une enquête d’ Associated Press, le gouvernement chinois surveille toutes les recherches sur les origines du coronavirus et exige que toute étude soit approuvée par un groupe de travail sous l’autorité directe du président Xi Jinping avant d’être publiée.

Minimiser les attentes

Malgré ces visites autorisées par Pékin, le Dr Daszak a averti qu’il était « hautement improbable » que l’équipe de l’OMS « découvre les origines exactes » du Covid-19. L’Organisation mondiale de la Santé a aussi tenté vendredi de tempérer les attentes autour de cette mission. « Le succès dans une enquête sur une transmission de l’animal à l’homme ne se mesure pas forcément à trouver absolument une source lors de la première mission », a prévenu Michael Ryan, directeur des opérations d’urgence à l’OMS.

« Les résultats jetteront les bases d’études à plus long terme sur le ou les hôtes animaux intermédiaires, l’origine du virus et la façon dont il a fait son apparition dans la population humaine », nous avait expliqué l’OMS mi-janvier, avançant que « ces premières recherches pourraient donner lieu à des travaux similaires dans d’autres pays ».

Pékin, de son côté, reste quasi-muet et minimise la portée de la mission des spécialistes étrangers : « Ce n’est pas une enquête », a d’ailleurs affirmé vendredi un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Zhao Lijian, refusant que son pays soit pointé du doigt. Depuis février 2020, le régime communiste défend l’idée que le virus ne vient ni de Wuhan, ni de Chine.

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